Les antisionistes qualifient habituellement le vocable antisémitisme de manipulation. La différence, prétendûment fondamentale, serait que l’un s’adresse aux juifs, l’autre aux sionistes. Certes, on peut très bien être juif sans être sioniste, de la même façon que l’on peut être musulman sans être démocrate. Le problème étant que pour être sioniste ou faire son aliyah (et ainsi entrer dans la catégorie infamante et imaginaire de colons) il faut bien être juif et que l’État d’Israël est un État juif, comme un État palestinien serait musulman. Donc l’antisionisme s’en prendrait aux juifs en tant que sionistes et non aux sionistes en tant que juifs. Un tel raisonnement me rend sceptique à plus d’un titre.

Un exemple. Je me demande en effet, pourquoi la condamnation du sionisme à la conférence de durban a donné lieu à l’apologie du national-socialisme (cf affiche).

Affiche diffusée lors de la Conférence contre le racisme de Durban. 2001
Affiche diffusée lors de la Conférence contre le racisme de Durban. 2001

Les juifs ont été assassiné par les nazis pour le simple fait d’être juifs, et non d’être sionistes. Si l’intention était véritablement de lutter contre le sionisme, il n’aurait pas été question de la shoah, d’autant plus les premiers retours en Terre Sainte des sionistes lui sont antérieurs de plus de 60 ans. Le message est explicitement anti-juif. Il est un appel à un nouveau projet génocidaire. L’antisionisme est donc une forme radicale de révisionisme historique.

Ensuite, les antisionistes qualifient toute présence juive de coloniale, ce qui reste encore à prouver. A fortiori quand on voit le niveau de vie des arabes israéliens comparés aux arabes d’Egypte ou de Syrie… Au mieux, ils préconisent un État binational, à défaut d’un seul État palestinien avec minorité juive. Cet État palestinien est supposé résoudre le conflit (il faudrait déjà savoir lequel…) et répondre à l’aspiration des antisionistes. Si l’État d’Israël est un État inspiré de la tradition juive, qu’en sera-t-il de l’État palestinien ? Je ne parle pas des divagations dont sont coutumiers les antisionistes à ce sujet (un État démocratique, laïque, pluriel…) je parle de ce que les « palestiniens » demandent, après tout, ce sont eux qui sont censés lutter pour leur libération. Que veulent-ils ? Détruire Israel, certes, on le sait, mais encore. Un État laïque ? Est-ce que la laïcité existe dans le monde musulman ? Non, c’est un État musulman donc. Et gouverné par qui ? Par quelle faction ? Et dans ce merveilleux État résolvant tous les problèmes du monde, qu’en sera-t-il des minorités chrétiennes ou juives, soumises à la loi islamique ?

En Israel, tous les cultes sont pratiqués librement : l’islam (la gestion des lieux de culte, dont l’esplanade, est confiée aux autorités religieuses musulmanes), les multiples confessions chrétiennes (de rite catholique, orthodoxe, arménien, évangéliste,…), la foi baha’ie persécutée en terre d’islam, l’athéisme, le bouddhisme…

De 1949 à 1967, sous administration jordanienne musulmane, il a été interdit aux Juifs de prier sur les lieux saints du judaïsme: Jerusalem, Hébron… Il n’est pourtant pas question de sionistes, mais de simples pèlerins juifs. Les cimetières juifs ont été rasés, les synagogues détruites. Je croyais qu’il n’était pas question de haine envers les juifs mais de haine envers les sionistes. C’est curieux, j’ai beau ne pas mettre en doute les louables intentions démocratiques et humanistes des partisans de l’antisionisme, je ne peux que me demander s’ils savent véritablement ce qu’ils disent. Ils me donnent l’impression de répéter mécaniquement un discours prémâché, ultra-sophistiqué, et tout à fait irréel.

Jerusalem 1942: Synagogue Hurva
Jerusalem 1942: Synagogue Hurva
Jerusalem aujourd'hui: ruine de la Synagogue
Jerusalem aujourd'hui: ruine de la Synagogue
La politique de destruction de toute présence juive à Jerusalem: destruction de la synagogue Nissan Beck par la Légion arabe. 1948
La politique de destruction de toute présence juive à Jerusalem: destruction de la synagogue Nissan Beck par la Légion arabe. 1948

Pour les antisionistes, le sionisme a pour fonction d’incarner tout ce qu’ils rejettent du monde actuel. L’antisionisme est conçu comme ultime séparation des bons entre les mauvais. Les accusations pathologiques portées à l’encontre d’Israël, comme celle d’un génocide palestinien, celle d’un camp de concentration ou celle de crimes contre l’humanité, ne relèvent pas de la simple opposition contre une idée. Elle relève d’une mise en accusation fallacieuse et sans appel. Parce que les antisionistes, pour faire bonne figure, ne vont pas seulement théoriser en s’en prenant au sionisme, ils vont chercher l’impossible et rendre leur théorie concrète, idéalisant le palestinien au rang de victime expiatoire de la modernité qu’ils ne parviennent à comprendre dans sa complexité.

Aucune de ses accusation n’est crédible. Pire. Elle peut, à plus forte raison, s’appliquer à la politique menée par de nombreux États musulmans ou non musulmans. Cette focalisation exclusive sur le seul pays au monde où les Juifs ne sont pas une minorité vulnérable m’a convaincu de la nature foncièrement judéophobe de l’antisionisme

Ce qui est remarquable dans la vulgate antioniste, c’est l’impossibilité de reconnaître une égalité de traitement entre Israéliens et Palestiniens. Il a fallu pour cela créer de toute pièce le « palestinien », chose remarquable, alors que ses propres représentants se désignent comme arabes, parlant arabe, et solidaires du monde arabe. Un palestinien est un habitant d’un espace géographique nommé Palestine ; cela me semble logique, et bien non, ce n’est pas ainsi que ce mot est employé. Que ce soit une création moderne (due au mandat britannique) et qu’elle ait des frontières fortuites ne correspondant pas aux frontières des subdivisions historiques des régions sous le joug ottoman, c’est un fait. Mais qu’il faille en exclure les Juifs n’est que l’expression d’une judéophobie ancrée. Un palestinien, c’est quoi ? C’est tout sauf un Juif. C’est la définition couramment utilisée. Si à la radio ou à la tv il est question d’un palestinien, remarquez qu’il est tout sauf juif! Il peut être iranien, comme les membres des pasdaran associés au hamas, il peut être chrétien, quand c’est utile. Dans l’imaginaire arabe, il est nécessairement musulman, membre de l’Ummah.

Que l’on me dise que l’on n’a aucune haine envers les juifs et que l’on est antisioniste, je veux bien écouter, mais à force d’inventer une mythologie autour du sionisme, ils en oublient de me prouver le caractère néfaste du sionisme.

On peut rêver d’un monde meilleur, mais on n’a pas réussi à me convaincre d’un monde meilleur sans sionisme. Au contraire, et comme le rappelle Emmanuel Lévinas, en réponse à l’accusation d’exploitation de la shoah comme argument politique :

« L’idée inaliénable du sionisme politique, c’est la nécessité pour le peuple juif, dans la paix avec ses voisins, de ne pas continuer à être minorité dans son cadre politique. Ce qui est nécessaire – de nécessité que j’appelle précisément historique –, pour que l’affront et l’assassinat des Juifs dans le monde perdent le caractère de phénomène incontrôlable et impuni. »

4 réflexions sur “Antisémitisme ou antisionisme ? (1)

Répondre à Aschkel Annuler la réponse.